L'Islam et les pratiques artistiques
Par Abdelkader BENDAMECHE
Paru In El Moudjahid du 4 Avril 1991
Paru In El Moudjahid du 4 Avril 1991
Le Prophète Mohamed (QLSSSL) avait dit :
« le peuple des Ansars affectionne le chant »
« le peuple des Ansars affectionne le chant »
Beaucoup d'historiens et de savants arabes avaient avancé le fait que certains grands Fouqâha de l'époque abasside et omeyade n'affectionnaient pas beaucoup le monde artistique, toutes branches confondues, pour des raisons qui sont restées pendant longtemps inexpliquées.
La situation que nous vivons aujourd'hui trouve son origine à partir déjà, de cette époque où plusieurs écoles se sont confrontées sur le domaine de l'interprétation de certains Hadiths dont l'authenticité n'a été que partiellement établie.
Mais plusieurs recherches ont pu résumer cette mise à l'écart du monde artistique pour deux raisons essentielles l'une d'ordre politique, parce que le lien à la lutte pour le pouvoir paraît plausible, et l'autre, d'ordre sociologique cela s'explique par le fait que l'artiste ou l'homme de lettres était beaucoup plus près de la société que quiconque et qu'il bénéficiait naturellement de l'attachement et du soutien du peuple à qui il s'adressait.
Il représentait ,de ce fait, un danger permanent pour les antagonistes. Ceci a été maintes fois confirmé par l'École Eddahir initiée et dirigée par le docteur et savant Ibn Hazm El Andaloussi qui était connu pour sa lutte contre les déductions implicites des Hadiths ou même du Saint Coran.
Ibn Hazm El Andaloussi avait clairement établi que l'Islam n'interdisait pas la pratique artistique, bien au contraire, il développe l'esprit de création qui est inné en chaque individu dans le cadre duquel doit se développer la recherche du goût de l'esthétique et de la beauté. Cette recherche de l'esthétique s'applique également à toutes les pratiques arabo-musulmanes et ce, depuis quatorze siècles notamment à l'occasion de la glorieuse invocation de Dieu le Tout Puissant ( Dikhr )
A titre d'exemple, voici quelques-unes des pratiques :
L'intonation de la chahada ( LA ILAHA ILLA ALLAH ) ,
( il n'y a d'autres dieux que Dieu ) est créatrice à elle seule d'une magie qui transcende et d'une forme linguistique et rythmique qui suscite chez les fidèles, et les simples auditeurs un état d'âme qui ressemble à l'ivresse.
Le madih eddini : louanges ou panégyriques sous forme de poésie ( qâcida, mouwachah, ou zadjel ) chantées à la gloire et pour l'amour de Dieu et du Prophète Mohamed (QLSSSL)
Le Nachid ou Inchad qui est une forme très élaborée d'improvisation sur les vers d'un poème mystique qu'on pratique à l'occasion de certaines formes de circonstances tel le Mawlid Ennabaoui ( Anniversaire de la naissance du Prophète ) dont la meilleure célébration se trouve dans deux pièces poétiques de l'Imam El Bouceyri (XIIIème siècle de l'ère chrétienne) intitulées El-Hamzia et El-Borda. Cette dernière a été magistralement interprétée par Oum-Kaltoum. Le mounchid, c'est-à-dire celui qui est chargé de diriger le Madih ou le Nachid, doit avoir en plus d'un large répertoire poétique et d'une belle voix, des connaissances profondes des lois régissant les mélodies, les rythmes et l'interprétation artistique en fait.
Le Madih Edini ou le Inchad sont observés le plus souvent au sein des confréries religieuses ( telles la Qâdiria, la Alaouiya, la Tidjania etc.). elles ont, en effet, chacune leurs exercices spirituels, leur terminologie et leurs éléments mélodiques et rythmiques. Généralement, le siège de la Tariaâ (confrérie), qui est un lieu de culte par excellence , peut faire fonction également de centre d'épanouissement pour l'art musical, il en sort soit des chorales, soit des individualités qui effectuent par la suite une carrière artistique appréciable.
Leur répertoire devient alors une sorte de référence, une norme à partir de laquelle on juge la compétence d'autres artistes.
El Adhan, (l'appel à la prière) qui est une tradition qui remonte au prophète Mohamed ( QLSSSL ) puise son exécution dans le système des maqâm (modes musicaux), bien que non mesurée, sa mélodie est différente, à chaque fois par rapport aux régions, mais également par rapport aux rites. Le Malékite (maghrébin) se distingue par son caractère austère et presque récitatif, il a pu être enrichi à différents moments de notre histoire par des Imams qui choisissaient des belles voix soutenues par une exécution couleur locale (mode Zidane, par exemple).
Le rite Hanéfite peut aller jusqu'à la vocalise pure et riche, avec exécution de mélodies ornées et envoûtantes qui font de l'Adhan une œuvre artistique monumentale servie aux fidèles, plusieurs fois par jour.
Le Tadjwid surnommé à juste titre d'ailleurs, la « parure de lecture » qui fait intervenir dans son exécution l'élément musical dans toute sa dimension. Ainsi le récitants devra être initié à la formation et à l'émission, du son de sa voix : il suivra les inflexions de la parole divine, isoler ses éléments par des pauses, régler sa respiration pour éviter les mauvaises articulations ; faire intervenir parfois la vocalise, ou phonétique propre à la langue arabe, utiliser un mode ou maqâm propre à la sensibilité de celui qui écoute.
Les pratiques que nous venons de citer sont aussi nombreuses que variées elles ont cependant deux constantes : le respect du message divin, et sa transmission dans les meilleures conditions, et ce, quel que soit le lieu ou la communauté musulmane qui le pratique.
Si le chant n'était pas permis, il n'y aurait certainement pas de psalmodie du Coran (Tadjwid), ni même d'appel à la prière et de chant medh.
Comment permettons-nous de nous interdire l'expression d'une belle poésie majestueusement chantée ? si ce n'est pour des raisons purement partisanes et qui n'intéressent qu'une partie de notre communauté.
On a transmis, d'après le Prophète Mohamed ( QLSSSL) qu'il avait dit à Aicha son épouse : « Avez-vous accompagné la jeune fille chez son mari ? Elle répondit par l'affirmative. Avez-vous prévu d'envoyer avec elle quelqu'un qui chante ? Elle répondit par la négative. Savez-vous, lui répondit-il, que les Ansars ( habitants de Médine) sont un peuple qui affectionne le chant ? Avez-vous envoyé avec elle , celui qui chante : le célèbre refrain,
« Nous somme venus,
Nous sommes venus,
Nous vous saluons,
Si ce n'est le grain de beauté
Nous ne serions pas là à vos côtés »
On a transmis, également, d'après le Prophète Mohamed (QLSSSL) qu'il avait croisé un jour une servante qui disait en chantant : « Allez-vous être surpris si je me divertissait par une faute ?(Haradj). Le Prophète Mohamed ( QLSSSL) lui rétorque « il n'y a pas de faute si Dieu le veut »
La musique est un élément qui remplit une fonction sociale très importante dans une communauté, l'occulter brutalement c'est la dénaturer et la faire dévier de sa trajectoire logique, laquelle obéit à un développement social et culturel commun à toutes les sociétés qui privilégient la formation de l'homme.
Le monde artistique vit aujourd'hui une angoisse et une stupeur qu'il ne pouvait malheureusement pas prévoir, tant il a fait confiance à son Etat et à ses lois . Il interpelle les pouvoirs publics pour demeurer dans leur position de fermeté devant cette intolérance envers l'artiste...qui n'est, pour le moment, pas stratégique ni à la relance économique, ni à enrayer les maux sociaux qui s'amplifient quotidiennement par le fait même ; justement, de cette intolérance.
Références bibliographiques :
la musique sacrée dans le monde arabo-musulman de Mohamed Guettat(oct 85)
Communiqué de l'Association algérienne des artistes lyriques
(août 1990)